Malheureusement, au risque de briser votre enthousiasme, je vais commencer par chipoter un peu sur du vocabulaire. Nos dits canyons sont donc situés en dessous de glaciers. OK donc il suffit de dire "canyons sous glaciaires" ! Ah ben non car le terme "sous-glaciaire" existe déjà et se rapporte aux rivières situées justement sous les glaciers, directement. Ces rivières sous-glaciaires sont d'ailleurs explorées depuis longtemps par les spéléos et les glaciologues.
Alors que nous reste-t-il ? Finalement, pour être précis, nos canyons sont en aval des glaciers, plutôt que dessous. Et pour une telle situation le bon mot existe : ce sont des canyons infra-glaciaires.
OK super, nous voilà bien avancés : un nouveau mot pour quelque chose que l'on connaît depuis longtemps. Quid de "glaciaire" alors ? Sensu stricto un canyon glaciaire serait dans le glacier, dans la glace. Et bien on y vient, ca existe... Mais encore un peu de patience, voyons d'abord ce qui se passe sur et dans un glacier. Lorsque les températures sont positives la glace des glaciers font, ce qui donne inévitablement des cours d'eau. Ces cours d'eau particuliers, à la surface des glaciers, sont appelés bédières. Si le glacier est de taille modeste, comme pour la majorité des glaciers alpins ou pyrénéens, les bédières ne sont que des ridicules ruisseaux qui s'écoulent sur la glace avant de rejoindre les bords du glacier et la roche, à moins de s'engouffrer dans une crevasse avant. A l'opposé, sur les glaciers immenses que l'on trouve sous d'autres latitudes, les bédières peuvent former, comme au Groenland, d'immenses rivières qu'il est même possible de descendre en kayak (Nicolas Hulot s'y était essayé par exemple...). Et sur les grands glaciers, la majorité de bédières n'atteignent pas les bords mais creusent au fil du temps des crevasses pour former au final des moulins, immenses gouffres pouvant atteindre la centaine de mètres de profondeur. Du fond des moulins, l'eau rejoint tant bien que mal l'interface glace-roche pour former les fameuses rivières sous-glaciaires.
Bon, toujours pas de canyons dans tout ça. Et bien en novembre dernier nous étions partis pour explorer les moulins de la Mer de Glace, célèbre glacier alpin s'il en est, avec une taille suffisante pour permettre la formation de ces gouffres. Mais la Mer de Glace subit comme tous les autres le réchauffement climatique et se réduit, s'amenuise, se transforme. En lieu et place des anciens moulins, qui étaient restés stables au même endroit pendant quelques années, nous avons trouvé ... un canyon. Soit que le débit n'était plus assez fort pour entretenir les moulins à cet endroit, soit que le glacier n'est plus assez fracturé à cet endroit, soit pour une autre raison, la bédière a continué son chemin vers l'aval, mais en creusant un canyon dans la zone. Evidemment, nous sommes allés voir. Pour enfin faire un vrai canyon glaciaire.
Voilà de la surface ce que ca donne : une belle entaille qui ressemble à une crevasse, mais au fond coule la bédière...
L'entrée du canyon, avec d'emblée une cascade :
En 2014 l'encaissement était long de 200m environ, avec plusieurs méandres.
Certains passages étaient étroits d'un mètre et demi environ.
Nous étions équipés en mode alpinisme donc pour éviter l'eau il a fallu faire quelques contorsions...
Et comme dans tout canyons qui se respecte il y avait des cascade, enfin une seule malheureusement, de 6m environ.
La descente est donc courte avec peu d'obstacles, mais l'ambiance est simplement extraordinaire. Je partage donc pour ceux qui voudraient tenter cette année, c'est la bonne période. Par contre le glacier change beaucoup, peut-être que l'entaille est plus profonde, peut-être qu'elle a déjà disparu... Quelques données pour le parcours en 2014 :
Accès : De la gare du Montenvers, descendre les échelles puis remonter la Mer de Glace, en rive droite d'abord puis au mieux, jusque vers la plateau précédant la confluence avec le glacier de Leschaux. Le canyon était situé en 2014 vers l'indication "Moulins" de la carte IGN. 1h30 à 2h depuis le Montenvers.
Profil : Méandre encaissé, étroit jusqu'à 1m50, profond jusqu'à une quinzaine de mètres. Une cascade de 6m au début du canyon.
Hydrologie : En général trop d'eau en été, en plein coeur de la fonte. L'idéal est d'avoir un temps froid et sec en automne. Mais si on attend trop le gel devient trop intense et la bédière ne coule plus du tout (expérimenté à une semaine d'intervalle).
Difficulté : Descendre ce type de canyon demande des compétences minimales en alpinisme (approche sur glacier, bonne maîtrise du cramponnage tout terrain) voire en cascade de glace (mise en place des relais sur broches ou lunules).
Matériel : Matériel de glacier pour l'accès et le retour : crampons, corde dynamique, broches, matériel de mouflage.
Pour le canyon deux options. Soit on le parcours en mode alpi en évitant l'eau, auquel cas des vêtements classiques d'alpinisme suffisent (c'est ce qu'on a fait). Soit pour les plus mordus des mordus on peut le parcourir en mode canyon : habillement standard pour les canyons froids, avec crampons indispensables. Le mieux me semble de garder des chaussures d'alpi avec crampons et de mettre des chaussons néoprène 5mm dedans. Pour le reste, 2 piolets, et 4 ou 5 broches.
Sortie : Après l'encaissement descendre la Mer de Glace et rejoindre les échelles puis le Montenvers (1h à 1h30). Si on suit la bédière on finit par tomber sur les actuels moulins, mais là c'est du domaine de la spéléo (quelques photos ici).
Équipement : Rien en place évidemment. Pour équiper la ou les cascade(s), deux options là encore : soit des mains courantes et relais sur broches en laissant des cordes fixes pour remonter et récupérer les broches, soit des relais sur abalakov. Dans ce cas attendre la sortie de dyneema cryodégradable, ou bien revenez 20 ans plus tard pour admirer tout ému depuis la terrasse du Montenvers votre petite sangle sortir au front du glacier.
Je n'ose pas proposer une fiche vu le caractère éphémère de l'encaissement...
A vos crampons !
